Lukas&Chloé ► But for now you're just scans of my unmade plans

« Hey, c’est moi. Je suppose que t’as encore éteint ton téléphone ; pour changer. Je me demandais juste vers quelle heure tu comptais rentrer, histoire de savoir si je dois préparer un truc à manger ou pas. Voilà, je crois que j’ai rien oublié. J’taime. Mais c’est pas nouveau ça, enfin bref, rappelle moi. »

Exaspérée par son incapacité à exécuter un message vocal potable sans se perdre en route, Chloé abattit son pouce sur le téléphone rouge avant de poser l’appareil sur la table. Malgré un soi-disant emploi du temps, Lukas ne rentrait jamais à la même heure. Un véritable casse-tête  si elle voulait calquer son propre quotidien à celui de son petit ami. Ramenant ses mains contre le haut de son crâne en même temps que ses coudes sur la surface du plan de travail, elle enfouit rapidement sa tête dans ses paumes. Son diaphragme se souleva à peine lorsqu'elle voulu inspirer, tant elle était absorbée par le malaise qu’elle s’efforçait de chasser de son champ de vision. Elle n’arrivait pas à trancher entre l’hypothèse de la fatigue ou celle du stress des études pour expliquer son état des deux dernières semaines. A moins qu’il ne s’agissait d’un mélange des deux – tout était devenu probable de toute façon. Inspirant profondément, la jeune femme tenta de se donner elle-même le change en allant vérifier le contenu du réfrigérateur. Proposer de faire à manger était une chose ; avoir les ingrédients pour cuisiner un truc mangeable en était une autre.

Etourdie dès le premier pied posé, Chloé secoua la tête pour faire se dissiper l’impression de flou. Ce qui eu le don de l’amplifier par dix. Puis par vingt. La seconde d’après, elle s’étonnait d’avoir eu le réflexe de reprendre son téléphone. Cinq longues sonneries ; la messagerie revint.  Elle s’appuya faiblement contre le meuble.

«  Lukas ?  C’est encore moi. J’suis désolée, je crois que je ne vais pas attendre que tu rentres pour me coucher ; c’est pas la grande forme ici et … »

Ses jambes la lâchèrent avant qu’elle ne puisse finir ;  rejointes rapidement par le reste de son corps. Dans toute sa vie, elle ne s’était évanouie que peu de fois : Elle se souvenait avec précision de sa première dissection - qu’elle avait passée tête plaquée contre le carrelage à chercher un peu de frais – ou encore du jour où la déshydratation - pendant ses vacances d’été en famille -  l’avait cruellement rappelée à l’ordre. A même le sol, la désagréable sensation de déjà vu s’estompa à mesure qu’elle perdit connaissance.

On devait être en train de la déplacer.
Du moins, c’était tout ce que son corps endolori pouvait interpréter. Sa tête était saturée, ses paupières lourdes. Elle n’essaya même pas de les ouvrir, elle savait que c’était vain. La conscience lui revenant par bride, elle se rappela vaguement de la situation post-malaise. Les coups de téléphone, le mal de crâne, le choc contre le sol. Elle avait du s’évanouir. Oui, ça devait être ça. Sa main tâtonna vaguement le sol, et elle fut surprise de constater qu’elle ne sentait pas sous la pression de ses doigts les petits creux qui dessinaient habituellement les motifs. Frustrée par une telle incompréhension, elle reposa sa main. Aussitôt, elle sentit l’agitation monter autour d’elle. Quelqu'un lui attrapa le bras droit -elle tendit immédiatement le gauche pour stopper le mouvement. Hors de question qu'on la touche alors qu'elle n'était même pas capable de reconnaître sur quoi elle était étendue.

-C'est juste un prélèvement sanguin, les médecins veulent vérifier certains taux.

Pas plus rassurée par la voix, Chloé se contenta de serrer les dents lorsqu'elle sentit l'aiguille dans son coude. Tête penchée, elle osa ouvrir un œil, puis l'autre. Mauvaise idée -orientée de la sorte la lumière du plafonnier l'éblouit violemment. Elle referma immédiatement les paupières, grommelant au passage son mécontentement. Un hôpital, donc. Ne restait plus qu'à savoir comment elle avait atterri ici. Curieuse du "ici" en question, elle attendit que l'effervescence autour d'elle se calme pour caler ses coudes avant de se relever légèrement. Sous la pression, ses bras s'enfoncèrent dans ce qu'elle identifia comme un matelas. C'était toujours mieux que le sol de l'appartement, d'un côté. Sa main passa dans ses cheveux, dégageant au passage une mèche brune qui l'empêchait de faire un panoramique complet de la pièce. Intriguée par la durée de son inconscience, elle chercha à la volée une horloge, une montre, quelque chose, un cadran solaire, n'importe quoi. A la place, elle tomba sur Lukas -posté au coin de la porte. Quitte à choisir, il valait toutes les horloges. Il lui demanda si elle allait mieux ; elle leva un pouce devant elle pour acquiescer.

-Affirmatif, Carter !

Comme pour lui prouver ce qu'elle venait d'affirmer, elle tenta de se redresser davantage contre le dossier, mais son dos re-glissa derechef au point de départ. Elle mit l'échec cuisant de la manœuvre sur le compte de l'hémoglobine manquante.

-Dis, est-ce que t'as essayé de me réveiller en me baffant ou ... Non parce que l'initiative en soit est pas mal, mais je suis pas tellement pour qu'on me gifle pendant que je suis pas vraiment là. Tu vois ?

Elle se savait meilleure en terme de plaisanterie, mais en vue de son état actuel c'était déjà un miracle qu'elle songe à détendre l'atmosphère plutôt que de psychoter. Haussant des épaules avant d'esquisser un sourire fatigué, elle reposa sa tête un instant contre l'oreiller. Le malaise était passé, mais pas tant la nausée.

-Laisse moi raconter n'importe quoi ; si ça te fait sourire c'est cool. T'es quand même vingt fois plus mignon comme ça.

Trop loin enfoncée dans la masse encombrante de draps pour vraiment avoir l'air notablement rétablie, Chloé tenta de se relever cette fois-ci en appuyant la pointe de ses pieds sur le bas du lit. L'idée en soit se valait plutôt bien ; elle n'avait seulement pas pris en compte son gabarit. S'étirant au maximum pour combler les vingts bon centimètres manquant, elle abandonna finalement en soupirant. Bon, Lukas allait devoir la croire sur parole -à défaut de pouvoir lui montrer que, oui, elle allait mieux. Du moins, la salle avait arrêtée de tourner sur elle-même. C'était déjà ça de pris. Elle adressa un sourire rassurant au brun lorsqu'il vint s'asseoir à côté d'elle sur le lit. Tandis qu'il lui caressait la joue, elle eu terriblement envie de se baffer elle-même pour avoir oser l'inquiéter de la sorte ; elle avait définitivement certaines pré-dispositions dans l'art de soucier le premier venu. Et il avait eu son quota de mauvaises nouvelles pour les dix prochaines années à venir, au moins.

Coupable, elle s'apprêta à s'excuser mais il la devança pour l'embrasser ; ce qui eu le don immédiat de lui faire oublier son intention. Pour cause, son cerveau préféra plutôt se demander si elle avait assez d'équilibre pour placer une main sur son cou, ou si elle risquait plus qu'autre chose de reperdre prise. Finalement, elle tenta le coup en se disant qu'elle ne risquait pas de tomber sur du carrelage cette fois-ci. S'écartant d'elle trop tôt à son goût, il lui demanda de ne plus jamais refaire quelque chose comme ça. Elle le fixa dans les yeux un moment avant d'acquiescer.

-Pigé. Je noterai ça quelque part ; sur un post-it, un magnet sur le frigo, un truc du genre ...

Souriant de plus belle, elle s'apprêta à l'embrasser de nouveau quand la porte s'ouvrit subitement. A en juger par la tête de Lukas, il était tout à parier qu'il s'agissait d'une personne du corps médical. Génial. Elle se redressa brusquement, ramenant ses bras croisés sur sa poitrine.

-J'espère que vous vous sentez mieux mademoiselle.

Elle hocha distraitement la tête, anxieuse de ce que les médecins avaient pu trouver dans les résultats de la prise de sang. Déglutissant nerveusement, elle attendit patiemment que l'homme daigne lui lancer un diagnostique. N'importe quoi ; du jargon incompréhensible, de quoi lui donner une petite idée de la réaction à adopter. Parce que lorsque Lukas tourna la tête vers elle, elle n'eu aucune idée de la façon dont elle était censée lui retourner le regard, ou ce qu'elle devait lui dire pour le rassurer. Finalement, elle opta pour le silence -le message passait d'autant mieux entre eux comme ça. Se souvenant de la seconde question du médecin, elle hocha négativement de la tête, le regard toujours fixé à celui de son petit ami.

-Avec tout le respect que je vous dois, faut savoir que c'est le meilleur moyen de me flanquer une crise cardiaque. Donc si on pouvait éviter, ça serait pas mal.

-Bien. Dans ce cas je peux vous dire que les résultats sont unanimes ; vous êtes enceinte.

Pendant les deux dernières minutes, elle s'était préparée à tout. Absolument tout sauf ça. Lâchant des yeux Lukas, elle se retourna successivement vers le médecin, son ventre, Lukas, de nouveau son ventre, une dernière fois Lukas. La nausée revint de plus belle. Son cœur s'emballa trop rapidement pour qu'elle puisse reprendre correctement son souffle avec de parler.

-Une minute. Laisse moi une minute ; et interdiction de paniquer. Parce que si tu paniques, je panique, et t'as vraiment pas envie de voir ça.

Enceinte. Elle était enceinte. Okay. D’accord. Pourquoi. Pourquoi pas. Génial. Horrible. Incroyable. Mais qu’est-ce que tu vas en faire. Tes parents. Ses parents. Ce qu’il en reste. Magnifique. T’es la reine du tact. Oh, ferme là. Complètement affolée, le cerveau de la brunette embraya immédiatement sur les définitions possibles de tout ce qui lui arrivait –vieille habitude que de mettre un nom sur les choses pour qu’elles arrêtent d’être effrayantes. Se repassant rapidement la scène dans la tête, elle en conclut une seconde fois qu’elle avait bien entendu le diagnostique. En même temps, il n’y avait pas trente six mille confusions à faire. Grossesse. Etat  pas vraiment sympathique durant –en plus- neuf mois ; crises épileptiques d’hormones subites ; merveilleux. Ca allait être une vraie partie de plaisir. Machinant sans relâche les idées qui lui passaient par la tête, elle joua nerveusement avec ses ongles avant de jeter un regard en biais vers Lukas qui en profita pour l’embrasser. Parfait ; rien de mieux pour lui faire perdre le fil.

-Je n’arrive pas à croire que l’on va avoir un bébé. C’est le plus cadeau que m’ai donné la vie.

Fronçant légèrement le visage dans une moue triste en pensant que la vie ne lui avait définitivement pas fait énormément de cadeaux de toute façon en  vingt-et-un ans d’existence niveau événementiel, elle plongea son regard dans le sien en sachant pertinemment que son attitude positive finirait par se répercuter sur elle à un moment ou à un autre. Ça avait toujours été le cas ; aucune raison que la chose change au moment où elle en avait le plus besoin, non ? Se mordant la lève inférieure à cause du stress, elle se rapprocha de son petit-ami pour tenter en vain d'imiter le rythme de sa respiration. Inspirer. Expirer. Inspirer ... Graduellement, elle sentit son pouls diminuer. Dans un sourire, elle força sur son dos pour pouvoir relever son visage au niveau du sien sans risquer d'envoyer valser la main qu'il avait plaqué sur son ventre.

-Si t'arrives à me ressortir exactement la même phrase quand je serai énorme et insupportable au possible ; t'es mon héro.

Murmurant la fin de sa phrase contre ses lèvres en souriant de plus belle, elle du s'écarter légèrement néanmoins pour le laisser parler. L'évocation entière de son prénom lui arracha un rire - heureusement pour Lukas qu'elle n'avait pas tout un palmarès affolant de deuxième prénoms à la suite.

-Je sais. Jt'aime aussi Carter.

Elle préférait largement la simplicité dans certains cas. Libérant sa main droite -qu'elle avait automatiquement entremêlée à celle sur son ventre, elle crocheta sa nuque autant que la distance le lui permettait pour l'attirer à elle. Sa mémoire ayant juste totalement omis l'arrivée imminente d'une infirmière dans la chambre. Plus agacée que surprise, elle soupira bruyamment.

-Oh, vraiment ?! Vous avez un soucis sérieux dans ce département, j'vous le dis. Y a un papier quelque part à signer pour que j'embrasse mon copain tranquillement ou j'ai loupé quelque chose ?