L'après-midi débutait et j'allais être remplacée par mon collègue à 15 heures. Sophie semblait toujours dévorée par le chagrin suite à l'accident mortel de sa sœur. Je ne pouvais que la comprendre mais il était hors de question que je raconte mon histoire. Je me contentais de lui offrir des sourires et d'agir comme d'habitude. Il n'y avait rien de pire, dans une telle douleur, que les personnes qui vous infantilise. Elle ne se confierais sûrement pas. Elle semblait être dans une quête semblable à la mienne. Personne n'avait compris le lien qu'il y avait entre ma venue et le massacre de l'église Saint-Anne. J'avais pris sur moi et avait fait en sorte qu'Evelyn puisse travailler chez Rousseau.
Je ne voulais pas partager ma souffrance avec elle. J'étais là pour ma cousine, mais c'était à sens unique. Ce n'est pas qu'elle ne voulait pas m'aider, mais c'était moi qui ne voulait pas avoir son soutient. Ce combat, j'avais décidé de le mener seule... Voir avec oncle Kieran s'il se mettait enfin à dénouer la parole sans fuir mon regard.
Ma cousine avait ses propres soucis. On avait beau s'entendre à merveille, les choses avaient changés. Ma vie était devenu douloureuse et la voir tous les jours me rappelait qu'avant, c'était avec Sean que j'avais une grande proximité familial. L'une de mes priorités était de lui trouver un chez elle comme le père Kieran l'avait fait avec ma personne. Je ne voulais pas qu'elle assimile cette action comme un rejet, mais il fallait que je puisse aussi avoir mes moments seule. Evelyn ne devait pas me voir faiblir et il était dur d'afficher un masque de sourire en permanence. Je voulais que l'on m'autorise à me laisser souffrir tranquillement chez moi sans que j'ai un risque d'oppression de n'importe qui. Même si elle voulait bien faire, j'avais besoin de respirer et je me sentais étouffée quand je savais que je n'étais pas la seule âme qui vive à la maison.
Après tout, j'avais rompu avec Nathaniel notamment pour ça. Le fantôme de Sean me poursuivait à chaque fois que mon regard se perdait dans celui d'Evelyn. Je saluais mon collègue qui venait me remplacer. On s'échangeait quelques banalités d'usages et je prenais ma pause. Avec mes livres pour ma thèse, je m'installais à ma table habituel où devait me rejoindre ma colocataire éphémère. Sa pause débutait dans un petit quart d'heure. Aussitôt, le bruit des pages qui défilent résonnèrent dans le bar. Seul l'ambiance sonore des ventilateurs du plafond concurrençait les pages lourdes de mes bouquins de psychologie. Je ne pouvais vraiment plus composer avec le soutient que je devais lui porter alors que mes parents jouaient les inexistants et que j'avais perdu à jamais mon identité. Perdre son jumeau est encore plus dur qu'un frère. Exposer ma souffrance auprès de ma cousine, au-delà du fait que je ne le voulais pas, aurais été déplacé.
Chacune de nous deux avions notre combat. Nous nous étions entendus par les liens du sang. Celui-ci avait bien trop coulés récemment. Mes doigts se crispèrent sur les pages. Mon visage restait imperturbable. Je n'aurais pas du me permettre d'y penser au travail. Un grincement de chaise me fit relever la tête de ma lecture. Je lui souris largement avant de faire claquer mon sujet d'étude et de le mettre de côté.
« J'ai deux heures de pauses et après je devrais y retourner pour l'ouverture. »Je sortais de ma poche un petit trousseau de clef et les lui fit glisser sur la table.
« Tu les as oubliés ce matin et j'aimerais rentrer seule comme chaque soir. Thomas » Elle pointa d'un geste du menton le barman, par automatisme.
« pourra te raccompagner. Il habite à deux rues de la maison. Autant éviter que tu te fasses aborder par des touristes éméchés. » Mon sourire s'élargit un peu comme pour lui dire que ce n'était que de la précaution.
J'ouvris mon sac à main et fouilla dedans en fronçant légèrement les sourcils. Je posais sur la table plusieurs articles de journaux.
« Quand tu dormais hier, j'ai eu le temps de faire quelques recherches. Dis-moi ce que tu en penses et si c'est jouable pour toi. »Mon sourire bienveillant était toujours là. Mes coudes sur la table et mes doigts se rejoignant, j'attendais de voir si l'une des habitations de la Nouvelle Orléans atteindrait le cœur blessé de ma cousine.
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