let me be your friend little dove ❥ may

Nous étions le lendemain de mon entrevue avec Sayanel, la première personne dont je faisais la rencontre depuis bien longtemps. Cela m'avait fait du bien de parler avec quelqu'un, mais il faut croire que j'étais un amant à catastrophes. J'avais provoqué un vol et semé le trouble dans l'esprit d'un pauvre homme innocent. Sans compter que le jeune voleur ne devait plus oser sortir de chez lui maintenant. J'étais rentrée assez tard au final, mais heureusement ce ne fut pas cette nuit-là que ça se passa. Après une matinée passée à ruminer mes actes et les crises qui s'emparaient de moi, j'avais décidé de sortir un peu, puisque le hasard semblait me porter chance dans mes rencontres. Je ne connaissais pas bien la ville mais, dans le centre, il était difficile de ne pas entendre parler du Mystic Grill, le café-restaurant le plus célèbre de Mystic Falls. J'avais beaucoup hésité. Aller au bar seule, c'est toujours un peu embarrassant. Les gens accompagnés passent à côté de toi en te regardant l'air de dire "Pourquoi elle est là, plantée toute seule comme une gourde celle-là ?", ce qui avait l'art de me mettre terriblement mal à l'aise. Mais j'avais finalement pris mon courage à deux mains, avais enfilé une jolie jupe et des chaussures à talons, et j'étais sortie dans la rue. J'avais paressé le long des trottoirs durant mon trajet, mon regard s'arrêtant plus que nécessaire sur les personnes chez qui je ressentais cette impression bizarre de familiarité ou de dégout, puis j'avais atterris au Grill et m'étais installée à une petite table. Un serveur au sourire aimable m'apporta peu après ma commande un cocktail coloré et aux odeurs parfumées, décoré d'un parasol, d'une tranche de citron et d'un agitateur. Saisissant ce-dernier, je me mis à touiller machinalement ma boisson en regardant autour de moi. Il n'y avait pas grand monde dans le bar, peut-être était-ce à cause de l'heure... Quoi qu'il en soit, je n'étais pas embarrassée mais plutôt déçue. J'avais espéré croiser un tas de gens et peut-être faire de nouvelles rencontres, si c'était aussi facile que la veille. Mais ce n'était pas les deux ou trois couples ni même les quelques personnes qui buvaient en solitaire qui allaient venir me tailler la bavette. Les yeux rivés sur mon verre, je touillais mon cocktail en rythme avec la musique qui passait, laissant mes pensées dériver.
Quand j'étais petite j'avais tellement rêvé de mieux que tout ça... Pas d'un père catholique qui ne voyait en moi qu'un fardeau imposé par Dieu, pas de la mort de ma mère avant même que je puisse la connaître, pas de cette vie misérable, dans la pauvreté, avec si peu d'amis, si peu d'amour, si peu de vie. J'avais rêvé d'être la jolie fille populaire d'un lycée en vogue, de mêler style et intelligence, d'avoir plusieurs amis pour qui j'aurais tout fait et qui auraient tout fait pour moi, d'avoir un amoureux. J'avais rêvé d'une vie normale, où mes seuls soucis auraient été mes devoirs, mon contrôles, mes disputes avec mes copines, les bus ratés et les coupures de Wi-fi. Je n'avais pas demandé cette souffrance, cette solitude, cette tristesse, cette malédiction qui pesait sur ma vie, sur mon âme. Je n'avais rien demandé. J'étais juste née.
C'est alors que l'impensable se produisit : quelqu'un vint s'asseoir en face de moi.

« Tu dois être May, non ? »

C'était une femme brune d'une vingtaine d'années, très jolie, un immense sourire scotché sur les lèvres. Elle avait cette odeur... Celle qui me répugnait.
Aussitôt je me sentis désolée de penser ça. Cette fille n'avait pas l'air méchante, je n'avais pas le droit de me fier à une impression que je ne comprenais même pas. Je lui retournai un léger sourire poli. Elle aussi m'avait tutoyée. Ce devait être une tradition dans cette ville. Et puis comment connaissait-elle mon nom ? Je ne l'avais jamais vue auparavant, j'en étais sûre, alors comment savait-elle mon nom ? Hésitante, je répondis :

- Euh.. Oui.. C'est moi.. Et v.. tu es ?

La jeune femme ne se départit pas de son immense sourire, toujours douloureusement figé sur son visage, - qui demeurait cependant très harmonieux - tellement qu'il en devenait évidement hypocrite. J'avais développé durant toute mon enfance une forte aptitude à déceler les sentiments des gens à l'égard d'autrui, et, bien sûr, principalement par rapport à moi. Et s'il y avait une chose que je décelai à cet instant, c'était que cette femme se forçait à m'approcher et à se montrer aussi aimable. Je gardai en retour un sourire poli, dissimulant mes doutes. Si elle se sentait contrainte de me parler, pourquoi était-elle là, à essayer de me faire croire le contraire ? Que pouvait-elle bien vouloir de moi ?
J'en étais là de mes interrogations lorsqu'elle se présenta finalement sous le nom d'Elena Gilbert avant de me tendre une main que je serrai poliment, frémissant pour je ne sais quelle raison au contact de sa main.

" Enchantée ", saluai-je, fidèle aux bonnes manières.

C'était étrange que je me méfiasse autant de cette femme. D'ordinaire, j'avais tendance à me croire dans un univers de bisounours où tout le monde était amis avec tout le monde et où jamais personne n'abuserait de la confiance d'un innocent. Intérieurement, je fronçai les sourcils. Je me débarrassai de mes questions et autres soupçons pour pouvoir me concentrer sur la conversation. Je ne connaissais pas cette Elena, alors pourquoi la jugerais-je ainsi sur de simples premières impressions ?
Mon interlocutrice m'expliqua qu'on lui avait parlé d'une nouvelle en ville et qu'elle venait voir si j'avais besoin d'aide. C'était très gentil à elle, bizarre, certes, mais gentil. Peut-être travaillait-elle dans un office de tourisme ou je ne sais quel autre métier de réceptionniste ? En tout cas, elle me paraissait bien au courant. Il y avait des tas de gens qui arrivaient et repartaient ici, je n'avais pourtant pas l'impression que l'on agisse ainsi avec eux. Mais peu importe, je n'étais pas non plus à suivre toutes les discussions des habitants de Mystic Falls, je pouvais très bien ne pas m'être rendue compte de cette particularité régionale. Comme le tutoiement et la familiarité que tous avaient l'air de manifester d'ailleurs, comme s'ils connaissaient déjà le monde entier. Quoi qu'il en soit, je laissai mon sourire poli s’agrandir un peu pour transmettre ma reconnaissance.

" Eh bien merci, c'est vraiment gentil à toi de prendre cette peine. Je suis arrivée il y a quelques jours et la ville m'a l'air très agréable, de même que ses habitants. Je n'ai pas d'interrogations particulières.. Peut-être où je pourrais trouver un emploi.. "

J'avais lâché cette dernière phrase histoire de dire quelque chose. Je m'en serais voulue de lui avoir fait faire le déplacement juste pour m'entendre dire que ça allait, merci. Je me doutais que ce n'était pas vraiment dans ses "attributions" de me trouver du travail, mais je voulais tout de même montrer mon intérêt pour cette ville et mon intention d'y rester.
Cependant, je ne pouvais m'empêcher de la fixer, de sonder son regard. Ce-dernier était figé, tout comme son sourire. Tous deux étaient sombres. Très sombres. Un fort caractère, un lourd passé... Je ne parvenais pas à savoir ce qu' Elena pouvait penser mais il me semblait qu'elle cachait quelque chose. Qui était-elle ?