MAY&SAY - Une aide bienvenue.

Enfin, j'étais officiellement une habitante de Mystic Falls, cette petite ville perdue au beau milieu de la Virginie. Bon, j'étais quasiment aussi pauvre que ce vieil homme qui faisait la manche sur le trottoir mais au moins j'étais libre. Depuis près d'un an que j'étais partie je n'avais jamais ré entendu parler des moines qui m'avait enlevée. J'avais donc décidé de m'installer quelque part et de commencer ma nouvelle vie.
Je marchais dans la rue, sans but précis, en observant autour de moi. Cette ville avait une drôle d'odeur. Je l'avais déjà sentie, quoique rarement, dans quelques villes que j'avais traversé, mais jamais autant. Peut-être étais-je bizarre, je devais faire une allergie.
Une musique me sortit de mes réflexions. Une jolie mélodie entraînante qui émanait de ce magasin. Sans vraiment réfléchir, je me dirigeai vers la porte que j'ouvris aussitôt, m'engouffrant chez le disquaire. Un léger bruit annonça mon intrusion, me faisant grimacer. Je détestai attirer l'attention sur moi. Fort heureusement, les regards des quelques curieux qui trainaient là se détournèrent vite. Je manquai de percuter un jeune adolescent qui ne releva même pas la tête pour s'excuser tandis que je marmonnai automatiquement un "Pardon". Tant pis, c'était souvent comme ça avec les ados. Si je n'avais pas eu une enfance aussi étrange j'aurais sans doute été pareille. Tout en suivant la mélodie qui me plaisait décidément beaucoup, je balayai la pièce du regard. Quelques clients se baladaient dans les rayons, piochant ici et là un CD. Le jeune vendeur, à la caisse, avait levé les yeux vers moi d'un air plus ou moins désespéré. Il ne devait pas beaucoup aimer son job. Moi, je ferais tout pour en avoir un. Ce n'étaient pas mes quelques économies qui allaient me permettre de manger tous les jours. Néanmoins, je compatis instantanément. Puis je me rendis compte que fixer les gens de la sorte n'était pas forcément recommandé dans le genre bonne impression. Je baissai vite la tête, commençant à avancer dans les rayons pour cacher ma gêne. Ne connaître personne ici était un sérieux handicap pour s'intégrer. Cela faisait trois ans que je n'avais plus eu de relations, en-dehors de celle avec mes geôliers qui ne comptait pas vraiment. Aucun ami, personne pour me parler, personne à qui poser les questions qui me brulaient les lèvres. Je ne pouvais pas vraiment dire à n'importe qui "Bonjour, je crois que je suis possédée par un démon certaines nuits. Je deviens féroce et incontrôlable, tu sais quelque chose sur ce genre de phénomène ?". Je secouai la tête, souriant de ma propre bêtise.
J'avais trouvé le CD sur lequel était enregistré la musique qui passait. "Knocking on heaven's door", de Bob Dylan. Le CD était vieux et pas trop cher, mais je ne pouvais pas me permettre des dépenses inutiles, surtout que.. je n'avais même pas de lecteur CD dans mon studio. Je relevai la tête, regardant une fois de plus autour de moi. Je me demandai ce que je faisais là, et surtout ce que j'allai répondre si on me posait la question. J'appréciai gratuitement la musique ? Je trouvais que le vendeur avait l'air gentil et attendais qu'il me parle ? Mon regard dériva vers la porte, mon sourire s’effaça tristement. Rentrer aussi tôt pour passer la soirée seule ? Youpi...

Son regard s'était un peu éclairé, comme s'il se remémorait de bons souvenirs, comme s'il considérait des aspects plus heureux de sa vie. Cela me fit sourire intérieurement. Je souriais assez rarement depuis quelques années. Ça ne me rendait probablement pas plus attrayante et ne m'aidait pas davantage à faire de nouvelles connaissances, mais malgré ça je ne pouvais pas forcer cette simple mais si sincère mimique. Quoi qu'il en soit, j'étais soulagée qu'il le prît de cette manière. Il était en plus resté près de moi, attendant patiemment ma réponse, comme s'il sentait mon besoin de compagnie, ce que j'appréciai énormément.

« Tu es sûrement la personne qui me fait le moins perdre mon temps aujourd'hui, alors je ne vais pas te chasser, ne t'en fais pas. »

Cette fois, un léger sourire fit brièvement son apparition sur mes lèvres. Il était vrai que ses clients avaient tous l'air plus malpolis les uns que les autres, j'espérai que ce n'était pas le cas de tout le monde à Mystic Falls. Son visage s'était, lui aussi, éclairé d'un sourire rassurant qui me réconforta. Cela faisait bien longtemps qu'on ne s'était pas préoccupé de m'adresser ce genre d'attention. Les musiques continuaient de s'enchaîner.. Pour la première fois depuis un bout de temps, je me sentis bien, j'envisageai plus sereinement ma vie dans cette ville que j'appréhendais tant. Peut-être était-ce la meilleure idée que je puisse avoir de venir m'installer dans cette petite Mystic Falls.

« Tu es toute seule où tu as de la famille ici ?

- Non, je suis.. Je suis toute seule.

C'était d'ailleurs on ne peut plus vrai. Le minuscule studio que j'avais loué dans les chambres universitaires n'aurait de toute façon pas permis que plus d'une personne et un poisson rouge vive là.
Lorsque mon jeune vendeur ajouta que j'allai rapidement me faire à cette ville, je marquai une hésitation avant de me mettre à parler, comme ayant besoin de faire partager mes impressions. J'avais envie de m'entendre dire que je n'étais pas définitivement folle.

- Oui.. Je ne sais pas.. J'ai traversé pas mal de villes avant de m'installer ici et.. Mystic Falls a quelque chose de.. de spécial.. Un genre d'odeur.. Certaines personnes m'ont l'air familières alors que je suis sûre de ne leur avoir jamais adressé la parole, d'autres me répugnent alors que je les connais même pas, d'autres ont même l'air de ne pas être vraiment là... Peut-être que ça vient de moi.. Je.. Je n'ai pas été réellement en contact avec la société depuis quelques temps mais.. je ne me rappelais pas de cette sensation.. Je l'ai eu auparavant, quelquefois, mais là elle est.. omniprésente.

J'avais plus parlé pour moi que pour lui. Au-fur-et-à-mesure que je plaçais des mots sur mes impressions, je parvenais à éclaircir tout ça dans mon esprit, à le mettre en ordre. Après mon monologue hésitant, je me sentis gênée de m'être ainsi confiée à quelqu'un que je venais à peine de rencontrer. J'allai passer pour une folle auprès de la seule personne qui m'avait manifesté un peu d'attention.

Ce n'était pas évident, non, c'était le moins que l'on puisse dire. Vivre seul dans un 15m² froid et miteux, ce n'était pas ce qu'il y avait de plus réconfortant, avouons-le. Je n'étais même pas encore officiellement inscrite au lycée et je me demandais même si je devais vraiment reprendre les cours. Après plusieurs années scolaires de manquées je ne pouvais pas vraiment rattraper mon retard si facilement. Peut-être valait-il mieux que je me cherche un travail. Quoi qu'il en soit, je fus décontenancée par sa question. C'est vrai, pourquoi ici plus qu'ailleurs ? Il posait la question sûrement plus histoire de faire la conversation que par réel intérêt, mais je me surpris à m'interroger moi-même sur les raisons de ma venue ici. Mystic Falls. Une ville qui portait bien son nom. Cette aura, cette sensation.. mystique, étrange, tellement perturbante. Tout ça aurait déjà du me faire fuir, étant de nature à éviter le conflit, mais là c'était le contraire. Je sentais que c'était ici que je trouverais les réponses à mes questions. Et ce pressentiment me faisait rester. Même si ce n'était pas évident. Alors comment expliquer ça..?

" Eh bien, je ne sais pas.. C'est peut-être le nom de la ville qui m'a intriguée.. Et puis c'était plus ou moins sur ma route, je ne perdais rien à m'y arrêter. Maintenant que je commence à m'installer je trouve dommage de repartir dans ma vie de bohémienne, je dois commencer à penser à mon avenir et aller.. de l'avant. "

J'étais précisément en train de faire ce que je détestais que l'on me fasse : je parlais par énigme. Je parlais dans le vague, dans le vide ; et personne d'autre que moi n'était en mesure de me comprendre. Ce devait être prodigieusement agaçant. Je m'excusai d'un sourire gêné.

" Désolée, je me doute que tout ça n'est pas très compréhensible ni très intéressant. "

Mon interlocuteur semblait s'être tendu sous mes confidences. Il me parut cogiter ferme quelques instants, comme si mes paroles prenaient tout un sens pour lui mais qu'il ne pouvait pas vraiment y croire. Il s'interrogeait, me regardait, comme s'il espérait deviner de mon apparence les réponses aux questions que je me posais moi-même depuis mes 15 ans. Mon regard se fit intense. Et si cet homme, celui-là même que j'avais rencontré par hasard, le premier avec qui je parlais depuis mon arrivée à Mystic Falls, savait ? Comprenait-il mes impressions ? Savait-il ce que j'étais ? Ce qui me possédait ? Qui j'étais réellement ? J'aurais tout donné pour entendre ses réponses à mes questions.
Je ne pus retenir une vague de déception lorsqu'il esquiva les explications que j'attendais. Mon instinct, des phénomènes ? Oui, sans doute, certes. Mais comment ? Pourquoi ?
Il sembla se replonger dans une profonde réflexion avant de lâcher ce qui m'apparut comme une réplique ironique. Il y en a qui ne mordent pas. Je ne comprenais pas. Parlait-il des attaques des bêtes sauvages..? ou de ces gens, si étranges, qui m'interpellaient ? J'allai formuler mes questions lorsqu'il me prit de court :

« Au fait, moi c'est Sayanel, j'ai oublié de me présenter. »

- Oh, oui c'est vrai.. Enchantée.

Ce n'est que quelques secondes après que je réalisai que je ne m'étais pas présentée. Alors j'ajoutai simplement :

- Je suis May.

J'avais raison, il eut l'air d'hésiter à me poser des questions quelques secondes, mais il devait être trop poli pour oser, fort heureusement pour moi. Parler de mon passé était la dernière chose dont j'avais envie à cet instant. A cet instant et à tous les autres d'ailleurs ; en parler ne ferait que rouvrir la plaie et je n'avais pas envie de me remémorer tout cela. Ni aujourd'hui, ni jamais. Ainsi, j'appréciais cette délicatesse, ça devenait de plus en plus rare de nos jours. Mais quand j'avais la chance de rencontrer quelqu'un de bien, mon pessimisme me fichait un peu la paix. C'était dommage d'ailleurs, car la plupart du temps je ne revoyais jamais ces gens. C'était probablement ce qui allait se passer avec Sayanel - prénom original au fait, mystérieux, il le portait bien - une fois que j'aurais quitté son magasin. C'était moi qui me rappelais des gens, eux qui m'oubliaient et continuaient leur petite vie pendant que je piétinais, sans savoir où j'allais. Je ne blâmais personne. J'avais simplement l'impression constante d'être incapable de m'intégrer à mon espace-temps, d'être.. différente.

"Tu ne devrais pas t'excuser autant, je ne te trouve pas si inintéressante que ça !"

J'esquissai un léger sourire avant de répondre :

- Ah, déso.. Euh je veux dire, c'est que je manque un peu de confiance en moi. Cet endroit, tous ces inconnus.. J'ai l'impression qu'ils vont m'arracher le cœur si je leur marche sur le pied.

J'avais pris un air amusé mais j'étais réellement touchée. Il avait l'air honnête et ces quelques mots avaient suffi à éclairer ma journée.
Il hocha la tête lorsque je me présentai et allait répondre à ma formule de politesse lorsqu'un énorme fracas nous coupa brusquement, me faisant sursauter. Une étagère se renversa avec violence sur le sol, me laissant entrapercevoir un jeune homme, les bras chargés de marchandises, se ruer vers la sortie. Je jetai un coup d’œil à Sayanel qui estimait la distance qui le séparait du voleur. Sa conclusion se résuma à quelques mots : "C'est une blague ...". Je me mordis la lèvre. Tout ça était de ma faute, le type avait profité de l'inattention du jeune vendeur pour partir sans payer avec la moitié du magasin. Je sentis un éclair me passer dans les yeux, la colère montant en moi comme la lave dans un volcan en éruption. Je fis volte face avant de commencer à courir vers la porte. Mon parcours était un véritable saut de haie. Un saute-mouton, deux énormes foulées et un roulé-boulé me permirent de passer par-dessus les étagères qui me barraient la route, le tout bien plus rapidement que je ne l'aurais cru. Avec une vitesse plus rapide que d'ordinaire, j'atteignis la sortie. Le type s'arrêta quelques mètres avant moi, clignant stupidement des yeux, me considérant du regard. Ma haine ne s'était pas attisée, je n'étais toujours pas en mesure de réfléchir vraiment. Je savais simplement que je devais arrêter cette enflure. Que c'était injuste que l'on vole comme ça des gens biens sans aucun remord. Alors, lorsqu'il prit son élan pour me rentrer dedans, je plaçai mes deux mains sur son torse pour le repousser avec brusquerie, le faisant s'étaler au sol. Les divers CD et autres clés USB qu'il portait s'éparpillèrent autour de lui tandis que je m'avançai, lentement, menaçante, avant de l' agripper par le col et de le soulever vers moi. J'approchai son visage du mien avant de déclarer, détachant chaque syllabe :

" Ne. Refais. Jamais ça. T'as compris ? "

Il devait bien faire une tête ou deux de plus que moi, mais cela ne l'empêcha pas de hocher rapidement la tête de haut en bas. Je le laissai alors s'affaler au sol. Il n'y resta pas bien longtemps, adressant à peine un regard perturbé à Sayanel avant de décamper.
Je pris alors une longue inspiration. Il fallait que je me calme, que je me détende. Cette fille violente... Ce n'était pas moi. Qu'est-ce qui m'avait encore pris ? Je n'avais pas été non plus extrêmement rapide mais j'étais quand même allée plus vite par-dessus des étagères que le voleur, plus âgé, et sa route toute tracée. Je déposai une main sur mon front brûlant et jetai un coup d’œil autour de moi. Heureusement il commençait à être tard et, à part Sayanel, il n'y avait plus personne dans le magasin. Silencieusement, je redressai l'étagère étendue au sol avant de le regarder à nouveau. Je priais littéralement pour qu'il s'imagine que j'étais une sportive de haut niveau ou quelque chose comme ça. J'aurais du partir tout de suite, mais je voulais m'assurer qu'il ne me jetterait pas des briques si l'on se recroisait, je voulais vérifier.. que sa vision de moi n'avait pas trop changé. Je n'étais pas réellement comme ça... Pas vrai..?

Lorsque Sayanel sembla finalement laisser tomber ses doutes et ses interrogations, je m'autorisai à me détendre. Il laissa échapper un rire amusé en entendant mes piètres excuses avant de me rassurer.

" C'est vraiment rien, je suis contente d'avoir pu t'aider un peu. " concluais-je brièvement, toujours un peu embarrassée.

En vérité, je ne me sentais absolument pas fière de moi et encore moins flattée des admirations que l'on pouvait me porter pour ce genre d'intervention. Comment vous dire, en fait c'est le diable qui vit en moi qui me donne cette force et cette vitesse, il me fait même me changer en monstre et, quand je me blesse, je guéris dix fois plus vite que les gens normaux, c'est génial, vous voulez voir ?
Je secouai la tête, comme pour me sortir d'une rêverie inutile. Les boites que j'avais ramassé n'avaient pas souffert de leur chute, heureusement pour ma culpabilité. J'observai le jeune vendeur ranger quelques CD par ordre alphabétique. Bien, ranger par ordre alphabétique et selon les écriteaux, je devrais quand même y arriver. Les boites que je portais indiquaient toutes le mot "Iphone 5". Je me dirigeai alors d'un pas décidé dans une allée et entamai ainsi mes aller-retours entre le petit tas de marchandises et les étagères, tâchant au début de me dépêcher, sans cesser de jeter quelques coup d’œil à l'horloge et au soleil qui déclinait à l'extérieur.
Finalement c'était tout de même plutôt agréable. Je me baladai dans les rayons d'un grand magasin, la musique était toujours aussi entraînante et Sayanel toujours aussi agréable. Je me surpris même à esquisser quelques pas de danses en chemin avant de rire doucement, vérifiant d'un regard circulaire que personne ne m'avait vue. Cela faisait longtemps que je ne m'étais pas sentie aussi bien, aussi sereine. Tellement bien que lorsque je revins pour prendre d'autres boites et que je vis qu'il n'y avait plus rien, je me sentis un peu déçue. Je serais bien restée un peu plus longtemps. Quoique.. Il fallait que je me dépêche de rentrer chez moi maintenant, dommage. Mais je ne pouvais prendre aucun risque. Je ne voulais plus être responsable de la mort ou des blessures des innocents qui m'entouraient. Ainsi, je m'approchai de Sayanel pour lui dire au revoir.

" Bon eh bien, encore désolée pour tout ce remue-ménage.. J'ai quand même vraiment apprécié cette après-midi, merci. "

Cela me semblait important. De le remercier.
Après avoir hésité quelques secondes sur la façon dont je devais m'y prendre pour saluer, je lui tendis une main qu'il serra brièvement avant que je la retire, marchant déjà vers la sortie. Je me retournai pour justifier mon empressement.

" Désolée, je.. j'aime pas trop le noir. "

C'était on ne pouvait plus vrai, songeai-je tout en sortant du magasin avec un dernier regard pour mon vendeur. Le noir, la nuit, tout ça m'effrayait. Parce que ça signifiait que ça allait peut-être recommencer. Que j'allais peut-être encore perdre le contrôle. Que j'allais peut-être encore me perdre.
Je me mis en marche vers les résidences universitaires, toujours perdue dans mes pensées.
Oui, j'avais peur du noir. Une peur maladive.