"
Ferme les yeux. Inspire... et expire. " Mimant le geste à la parole, Julian a l'air convaincu de ce qu'il fait. Pas moi. Je n'ai jamais vraiment compris pourquoi il t'entête à vouloir me faire ressentir quelque chose, que ce soit à propos de mon besoin constant de sang, de mes émotions inexistantes, de ce qui m'a fait basculer du côté obscur de la force... pourtant, il essaye -encore et encore- de me faire changer, de me faire
revenir comme il aime me le dire si souvent. "
Allez, on commence. " me dit-il en rouvrant les yeux. Assis en tailleur au plein milieu de son salon, nous avons tous les deux l'air idiots. Je regarde autour de nous pour la énième fois, me demandant comment un vampire vieux de plus de 300 ans peut vivre dans un appartement pareil et avoir l'air aussi... normal. "
Parle moi de toi. Dis moi ce qui t'a poussé à sombrer. " "
Encore ?! " "
Oui, encore. Tant que tu me raconteras ta vie comme un élève qui répète sa leçon, on ne passera pas à l'étape suivante. " Un soupire d'agacement m'échappe. J'en ai marre qu'il me parle comme un une droguée qui rentre en désintox mais, au fond, n'est-ce pas -justement- le cas ? "
Allez, raconte moi ! " Je le fusille du regard avant de commencer.
***
Je revenais d'une soirée étudiante. Sam et Daisy avaient insisté pour me raccompagner à la maison mais, je leur avait dit que je préférerai rentrer à pied. Après tout, j'en avais que pour quelques minutes, dix ou quinze tout au plus. Je n'avais pas envie de les déranger pour rien, surtout que je ne risquait pas l'accident en ne prenant pas la voiture... La plupart des gens avaient préféré rester pour la nuit -soirée éméchée oblige- mais, détestant m'endormir sur un oreiller qui n'est pas le mien, je me suis vite retrouvée seule, marchant le long d'une rue complètement déserte - ou presque. Un type était recroquevillé devant l'entrée d'une des boutiques du coin et, le gobelet devant lui m'indiqua aussitôt que je n'ai pas de quoi me faire peur. C'est malheureux à dire mais, les SDF couraient les rues à cette époque de l'année... ou à cette époque tout court, plutôt. Lorsque je suis arrivée à sa hauteur, je me suis baissé pour lui donner le fond de poche que j'avais, quelques pièces qui avaient été oubliés au fond de la poche de mon manteau. Le bruit qu'elles firent en tombant au fond du gobelet me hante encore aujourd'hui... puisque ce fut la dernière chose que j'ai entendu avant que l'homme ne relève la tête, les crocs sortis et prêts à me mordre.
***
"
Et qu'est-ce que tu as ressenti à ce moment là ? " Je fronce mon nez et cherche au plus profond de mes souvenirs. "
J'avais peur... j'étais pétrifiée mais, je me suis surtout demandé : pourquoi ? " "
Comment ça ? " Il semble vraiment vouloir connaitre la réponse mais, je reste persuadée que cela fait partie de son plan, de sa technique de soin. "
Je ne connaissais rien à l'existence des vampire avant que ce type ne m'en fasse découvrir les facettes. A mon réveil, je pensais que l’alcool m'avait joué des tours mais, la table de torture sur laquelle j'étais couchée m'indiqua le contraire. " Il fronce les sourcils et ferme les yeux. Essaye-t-il de s'enlever l'image de la tête ou, justement de la visualiser ? Cette dernière idée me révolte, ce qui me fait grincer des dents. "
Es-tu en colère ? Là, tout de suite ? " "
C'est toi ! C'est toi et tes conneries qui m’énervent ! " Il m'adresse un sourire avant de rouvrir les yeux. "
C'est parfait. Tu viens de ressentir quelque chose, ce qui est déjà pas mal. " Je vais pour lui mettre un poing dans la gueule mais, il stoppe ma main à temps. "
Ne joue pas à ce jeu là avec moi, j'ai 300 ans de plus que toi. " Je me résigne à contre coeur. "
Maintenant, continue. " Je le regarde, pas vraiment d'envie à lui obéir. "
Allez, dis moi comment tu as vécu ta transformation. " Un soupire m'échappe. J'ai beau être bornée, Julian l'est plus que moi donc, plus vite je lui raconte ma vie, plus vite il me laissera tranquille.
***
J'ai réussi à m'échapper de la cave dans laquelle on m'avait enfermée quelques heures après mon réveil. J'étais morte de peur, pour ne pas dire morte tout court... L'homme m'avait attachée, forcé à boire toutes sortes de choses et m'avait raconté sa vie. Il répétait sans cesse les même choses, des choses atrocement ignobles. Il m'expliqua aussi le principe de la transition mais, seulement après m'avoir forcé à boire le sang d'une gamine de douze ans qui se tenait là, elle aussi, attaché par le pied. Je me serais cru dans un vieux remake de
Saw, sauf que là, c'était moi qui était mise à l'épreuve. L'homme m'avait donné un choix simple : soit je buvais une infime quantité de son sang -assez pour achever la transition- soit il la démembrait devant moi. J'ai opté pour la première option mais, ne sachant pas contrôler mon envie de nouveau-né, j'ai fini par vider la demoiselle de son sang. L'homme ria aux éclats, fier de lui... mais il avait sous-estimé son plan. Remise en forme par le sang que je venais de boire, j'ai réussi à me libérer avant de lui briser la nuque et m'enfuir. La première chose que j'ai faite, c'est aller me doucher. Je suis resté des heures entières sous l'eau chaude, brûlante même ! Mais je ne ressentais aucune douleur. Ce que lorsque j'ai entendu le téléphone sonner que je me suis forcée à sortir de là. C'était Xander... mon Xander. Comment allais-je lui dire ça ? Comment ? Je n'avais pas d'autre solution que m'éloigner de lui, que serait-ce pour éviter qu'il ne finisse comme la gamine dans cette cave.
***
"
Tu t'es éloignée de lui pour le protéger, parce que tu l'aimais. C'était un acte honorable, Joyce. " "
Cela a provoqué sa mort ! Il n'y a rien d'honorable là dedans ! " Cette fois, j'ai réussi à envoyer ma gifle avant qu'il ne la voit venir. Il se frotte la joue pendant que je ramène mon bras sur ma poitrine, demi-honteuse de m'être emporté alors qu'il ne fait que m'aider. J'ouvre la bouche pour m'excuser mais, je m'arrive pas à formuler ce que je ressent avec des mots. Suis-je désolé de l'avoir giflé, de ne pas être assez reconnaissante ? "
C'est donc ça... " lâche-t-il dans un murmure, ce qui a le don t'attiser ma curiosité. "
Comment ça ? " Il sourit, comme si je venais de répondre à une énigme quelconque. "
Tu as préféré sombrer dans le sang et la violence plutôt qu'accepter la mort et vivre le deuil de ton ami. " "
Petit ami. " Je me sens obligée de le préciser, ce qui accentue son sourire. "
Je ne vois pas ce qu'il y a de drôle là dedans... " Il se lève et me tend une main - que j'accepte avec plaisir. Est-ce que la séance que psy est enfin fini ? "
Il n'y a rien de drôle, en effet. " Je confirme d'un hochement de tête. "
Mais cela veut dire que tu n'es pas irrécupérable. Juste brisée de l'intérieur. " Je fronce les sourcils. "
Et ? " "
Il te suffit donc de réparer ce qui a été brisé. Je pars pour Mystic Falls demain; fais tes valises, tu pars avec moi. " "
Et pourquoi je ferais ça ? " "
Pour essayer de reprendre le cours de ta vie, plutôt que la laisser te bouffer comme elle le fait depuis la mort de ton ami. " Je vais pour le rectifier encore une fois mais, à sa tête, je constate qu'il l'a fait exprès pour me faire réagir. "
Bon... ce sera tout pour aujourd'hui. Je peux compter sur toi demain ? " J'hausse les épaules, l'air faussement détachée. "
Alors ? " "
Oui, tu peux compter sur moi. "