« You might be alive or you just breathe to pass the time »
« Mystic Falls ; septième jour, 22h06 précise.
Après -Je m’appelle Svenja Maybelle Kovarski-Lewis et je suis née le 19 Mars 1994 en Russie. Signes distinctifs :
Génie informatique, obstinée, rationnelle, curieuse, coupable. Mère : Anya Kovarski, 31 ans, pathologie maligne. Père : non-identifié. Heure de naissance : 03h15. Heures passées en compagnie d'un des deux parents : 23. Moyenne des regards lancés d'un des deux parents vers leur fille : de 0.5 à 1. Temps passé dans le domicile familial : aucun. »
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Russie, 1997 :Assise en tailleur, repliée sur elle-même, la frêle blondinette s’acharne tant bien que mal à achever son dessin. La feuille est presque entièrement recouverte d’un arc-en-ciel de couleurs pastels et pourtant, il manque quelque chose. Elle ne sait pas quoi, mais elle le sent. En s’étirant autant que son petit corps le permet, elle attrape un énième crayon et rajoute d’un trait sur un autre rayon au soleil qui se cache dans le coin supérieur de la feuille. Non, ce n’est pas encore ça. Elle retente une seconde fois en ajoutant cette fois-ci un brin d’herbe à la pelouse déjà bien verdoyante. Toujours pas. Alors, se levant lentement, elle accourt sur la pointe des pieds au chevet de la femme. Elle a les yeux grands ouverts et profondément accrochés au plafonnier. De sa main droite, elle tapote frénétiquement les barreaux de son lit ; l’autre est relâchée avec nonchalance au dessus du sol. Elle est toujours comme cela, quand Svenja vient lui rendre visite. La petite fille se dresse sur la pointe des pieds. La semelle se tend, ses orteils sont douloureux. Sans faire de gestes brusques, elle pose sa menotte contre l’épaule de la femme au regard absent et observe avec stupéfaction son réveil brutal.
-Qu’est-ce que tu fais encore ici ?!Le cri de la femme la glace jusqu’aux os. Jamais elle n’avait entendu de cri aussi strident de toute sa vie. Elle retire aussitôt sa main pour la cacher dans son dos, comme si avoir une paume devenait soudain signe de honte. Sur le lit, la femme se débat de toute ses forces mais ses poignets sont fermement emprisonnés par les lanières sombres.
-C’est encore l’autre infirmière, j’en suis sure ! Cette fichue américaine. C’est elle qui t’as dis de revenir ici ?! La gamine recule vivement et trébuche sur ses lacets. Elle ne veut pas pleurer, elle s’efforce de ne pas le faire. Elle ne veut pas que la furie s’en rende compte. Elle se contente de rester muette devant l’affreux spectacle qui s’offre à elle.
- Sors de là ! Je ne veux plus jamais te revoir tu m’entends ?! Sors de là maintenant ! La porte s’ouvre dans un violent courant d’air et une jeune femme habillée de blanc de la tête au pied s’avance. Sans un mot, elle agrippe la petite fille par le bras et la tire en arrière contre elle. Svenja se laisse faire sans opposer aucune résistance. Elle sait que l’infirmière ne lui veux aucun mal.
Cette dernière ne perd pas un instant de plus et emporte avec elle la fillette tremblotante qui tente sans relâche de rappeler sa mère à la raison. Mais rien à faire. Le battant de la porte claque à nouveau, et elle retrouve l’air frais du couloir. Elle se blottit sans plus attendre dans l’étreinte de la jeune femme qui l’emmène loin de la chambre 67. Derrière elle, un dernier hurlement de sa mère lui parvient, puis le silence complet. Elle sait, à ce moment, qu’elle se trouve loin du service de psychiatrie de l’hôpital de Moscou.
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« J'ai grandi dans un orphelinat, non loin de l'hôpital. Superficie : beaucoup trop faible pour le nombre de résidant. Fraction de personnes appréciées sur un échantillonnage de 100 : 2. »
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Russie, 1997 : « Allez les enfants, souriez ! »Mal à l’aise dans l’effusion de tissu rose qui l’habille, Svenja réajuste sa robe comme elle le peut. Le jupon est beaucoup trop grand pour elle, et elle n’aime pas du tout la matière utilisée qui lui donne l’impression d’être recouverte de papier de verre. Sa tiare dorée est elle aussi hors mesure, tellement qu’elle doit à plusieurs reprises la remonter pour ne pas qu’elle finisse devant ses yeux. Ce n’est pas le déguisement parfait, mais c’est toujours ça, se dit-elle en s’efforçant d’afficher un rictus potable. Les dons à l’orphelinat ne sont pas fréquents. Et le budget ne l’est guère plus. Devant elle, le photographe tape dans ses mains avec ce qui s’apparente à une drôle de peluche bleue. La petite fronce les sourcils avec mécontentement. Comment veulent-ils que les enfants sourient alors que la majorité d’entre eux n’a plus de famille ? Bien sûr, elle avait toujours sa mère. Celle-ci n’en voulait seulement plus. Songeuse, elle se balance de droite à gauche, faisant tomber une nouvelle fois sa coiffe. Peut-être avait-elle fait quelque chose de mal. Peut-être que sa mère n’aimait pas les dessins qu’elle lui offrait. Peut-être ne l’aimait-elle pas du tout.
Le photographe la rappelle à l’ordre, elle fixe l’objectif d’un air absent. Agrippant la main du petit garçon à côté d’elle, elle sourit plus franchement quand la tentative de tour de magie de l’homme se solde finalement par un fiasco bucolique. Il rit aussi, le garçon d’à côté. Elle l’a remarqué dès le début avec son costume de chevalier deux fois trop grand pour lui.
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« Ma mère est morte un an plus tard. Je l'ai tuée. Cause du décès : mauvaise coordination d'une gamine de quatre ans trébuchant sur la perfusion maintenant sa génitrice en vie. Raison de la visite : Départ vers les Etats-Unis avec le couple Lewis. Taux de culpabilité : 100 %. »
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Mystic Falls, 2014-Pouvez vous me répéter votre prénom mademoiselle ?-Svenja, répond t’elle docilement.
Non, pas comme ça, le j après le n vous voyez ?Attrapant le formulaire d’inscription des mains de la secrétaire, elle raye consciencieusement la case avant d’y inscrire en lettre capitales son prénom, ainsi que KOVARSKI-LEWIS. La vieille femme écarquille de grand yeux curieux en la relisant. Sa mère avait insisté pour qu’elle garde son nom d’origine, en plus de Lewis. Sa mère adoptive, s’entend.
-C’est un bien joli prénom. Ca vient de..-Russie. C’est un prénom russe. Précise t’elle en remontant son sac bandoulière sur son épaule.
Vous avez besoin d’autre chose ?Les yeux vitreux doublés par les lunettes suivent chaque lignes à une vitesse si affolante qu’elle se demande si elle lit vraiment. On lui demande la spécialité dans laquelle elle devait être assignée, elle lui répond Informatique, sans aucune hésitation. Elle avait attendu ce programme depuis toujours. Un coup de tampon, une signature, puis la secrétaire agrafe le tout. Elle lui tend un emploi du temps et un plan qu’elle accueille avec un grand sourire.
-Bienvenue au lycée de Mystic Falls, Svenja ! --------------
« Officiellement, je suis vivante. Ma carte d’identité peut vous le prouver. Ma mère adoptive peut vous le prouver. Officieusement, je suis disons très active pour une personne décédée à deux reprises.
Ma première mort : meurtre raté. Profil du tueur : quarantaine, brun. Signe distinctif : dentition atypique. Renaissance violente ; soif, crampes, sentiments, froid, émotions, famine, besoin hémoglobien.
Ma seconde mort : suicide. Motif : nouvelle condition insoutenable ; meurtre d'une passante innocente ; surcharge émotionnelle.
Pour toute personne entrant en possession de ce journal vidéo un jour, sachez une chose. Mourir ne vous offre aucun répit. Ça vous laisse juste le temps de réaliser à quel point la vie, même si elle vous a retiré vos parents ou votre chevalier en armure, vous offre des distractions suffisantes pour ne pas psychoter sur tout le mal que vous avez fait autour de vous.
Alors, s'il vous plait. Si un jour un homme vient vous accoster dans un bar, oubliez la politesse. Frappez où ça fait mal et sauvez votre peau. »