When we were young ..

D'un mouvement brusque, Ezeckiel tourna le volant, effectuant une redirection qui faillit les envoyer, lui et Adriyel, dans le fossé le plus proche, et repartit dans une allée perpendiculaire à celle qu'ils avaient pris auparavant. Le pied sur l'accélérateur et la cigarette aux lèvres, le brun sourit, après avoir rapidement regardé sur le rétroviseur que la manoeuvre avait marché. Cette fois là, ils avaient bien failli y laisser leur liberté. Une simple erreur de calcul de quelques secondes, et ils avaient dû fuir comme des lapins ne voulant pas retourner en cage. Mais en fin de compte, c'était sans doute ce risque que le River aimait particulièrement dans ce qu'il faisait. Peut-être avait-il agi en toute connaissance de cause, juste histoire de savoir s'il pourrait oui ou non échapper à la police, dans cette ville inconnue qu'était Los Angeles. La cité des Anges. Une belle ville, sans aucun doute. L'obscurité les entourait cependant, sans leur laisser l'opportunité de pouvoir l'admirer pour la dernière fois avant de reprendre la route vers Mystic Falls. Sans doute que cette ville allait leur manquer. Mais il était temps de rentrer, de revoir ce qu'il connaissait le mieux. Clyde se détestait. Il n'aimait pas être attaché à un lieu, à des bâtiments destructibles, à des personnes tuables. Il n'aimait pas cela. Et pourtant, d'une certaine façon, tout lui manquait. Le parking où il s'exilait, le skate park, Neil. Les couchers de soleil de Mystic Falls, les maisons riches non protégées, les transformations dans les bois et chez eux, Neil. D'un côté, elle avait été son seul point d'accroche durant les deux années qu'il avait passé loin de Bonnie. Et alors même qu'elle était revenue, il n'acceptait pas sa présence, il ne le voulait pas. Mais Neil restait Neil, et cet aspect réconfortant de leur relation avait de quoi lui donner un manque certain.
C'est donc avec le sourire qu'il atteint la route principale.

" Je rentre pas , dépose-moi à la sortie de la ville."

Sans doute Ezeckiel n'avait jamais freiné aussi brusquement. Sans doute qu'il n'avait jamais perdu son coeur en même temps que sa vie. Sans un mot, il regarda son frère. Il était sérieux, il le savait. Pour la première fois en vingt ans, les frères River se séparaient. Le loup savait pourquoi, il l'avait toujours su en fin de compte. L'amour vous renversait le coeur quitte à vous faire oublier qui vous êtes et avec qui vous devez vivre votre vie. Habituellement, Ezeckiel aurait crié, ce serait énervé, aurait continué à rouler. Mais il s'agissait d'Adriyel. Il ne pouvait faire ça à son propre frère, il ne l'avait jamais pu. Alors il arrêta la voiture. Sans un mot, sans une expression, il laissa sa moitié, son jumeau, en descendre. Et il le regarda. Comme s'il le voyait pour la dernière fois. Parce qu'inconsciemment, il savait que ce serait le cas. Inconsciemment, il savait que la prochaine fois qu'il croiserait sa route, il ne devrait sans doute qu'identifier un corps. Mais il s'y refusait. A laisser libre court à sa paranoïa. Il avait toujours prôné la liberté, alors pourquoi interdire celle de son frère?

" Ca ne sera pas pareil sans toi."

Adriyel sourit, mais ne répondit pas, ou du moins pas à cela.

" Passe le bonjour à Neil quand tu la verras. Et à Bonnie."

Sur ces mots, il commença à s'éloigner, par là d'où ils étaient venus. Pris d'un élan, sans doute empli du désespoir qu'il n'arrivait pas à montrer, Ezeckiel se retourna.

" Ad !"

Mais le reste de la phrase se bloqua dans sa gorge. Des mots qu'il n'avait jamais su réellement dire, même pas à son frère. Alors qu'il le voyait comme l'être qu'il aimait le plus au monde, celui sans qui il ne serait plus rien, sans doute mort dans un fossé, sans doute abandonné, mourrant de faim, de désespoir et de solitude. Il lui devait tout, et pourtant, "je t'aime" était une expression bien trop difficile à exprimer.
Son frère sourit de toutes ses dents. Il avait compris, il comprenait toujours.

" Je sais."


____


A pleine vitesse, Ezeckiel roulait. Comme s'il avait le diable aux trousses, comme s'il ne pouvait faire autrement que de s'éloigner de cette ville qui lui avait enlevé son frère. Il ne voulait pas pleurer. Il ne pleurait jamais, n'allait pas commencer aujourd'hui. Abandonné, comme un loup chassé par sa meute, il était seul. Le panneau annonçant Mystic Falls le soulagea, lui enlevant un poids. Garant sa voiture - qui ne lui appartenait pourtant absolument pas - à une distance assez respectable de la ville, au milieu de la forêt, il en sortit, pour continuer à pied. Alors que le départ de son frère commençait à se faire un chemin dans sa conscience, dans ce que cela entraînait, il se mit à courir. Désespérément, comme si cela pouvait suffire à lui faire oublier qu'il n'avait plus personne, que rien de ce qu'il avait vécu jusque là ne dépassait l'épreuve qu'il s'apprêtait à vivre.

Essoufflé, Ezeckiel finit tout de même par arriver devant la mairie de Mystic Falls. Il savait ce qu'il avait à faire. Trouver Neil. Elle seule pourrait l'aider ... Juste à oublier que son frère n'était plus là. Comme lorsqu'ils sortaient à deux, laissant Adriyel dans leur appartement. Alors il la chercha. Partout. Il fit tous les lieux qu'il pensait habituel, mais ne la trouva pas. Elle ne semblait être nulle part. Etait-elle partie également? Si c'était le cas, il ne ferait plus long feu dans cette ville.
Mais il la trouva pourtant, alors que le loup perdait espoir, assise devant le lycée, bâtiment où ils n'avaient pourtant jamais mis les pieds en plein jour. Souriant, il repris sa verve habituelle. Peut-être que s'il faisait comme si, tout redeviendrait comme avant, le manque ne se ferait pas sentir. Peut-être qu'être un gros con l'aiderait, finalement.

" Tu hésites à reprendre tes études?"  

Ezeckiel se sentait mal. Il avait beau le nier, faire comme si tout allait bien, comme si son coeur n'était pas déchiré en des millions de morceaux. Il avait laissé partir son frère, la personne la plus importante pour lui, il l'avait laissé partir. Pourrait-il seulement se regarder dans un miroir après ça ? Pourrait-il rentrer chez lui, observer la chambre d'Adriyel, aller dormir dans la sienne, et se réveiller le lendemain, avec l'espoir ridicule qu'il pourrait être là le lendemain, dès qu'il ouvrirait les yeux. Peut-être que la réaction était enfantine, qu'elle était ridicule. Qu'il ne s'agissait "que" de son frère. Mais il fallait remettre les choses à sa place, rendre à César ce qui appartient à César. Il n'avait jamais été séparé d'Adriyel depuis sa naissance. Quoiqu'ils fassent, ils l'avaient fait à deux, en partant de Paris pour arriver jusqu'aux Etats Unis. Ad' avait accepté son côté loup alors même que lui ne l'avait pas activé. Il avait accepté ce qui pouvait passer pour une monstruosité, avait accepté sa malédiction pour lui. L'avait suivi. Et maintenant, ils étaient séparés.; A jamais séparés, plus rien ne serait pareil, il le savait. Le reste n'avait plus d'importance. Il ne comprenait plus rien. Du soulagement, il était passé à l'incompréhension, la surprise et puis enfin la colère. Soulagement. Neil était là, il l'avait trouvée. Rien ne pourrait ébranler sa conviction qu'il pouvait faire comme si rien ne s'était passé, comme si son frère était encore chez lui, à l'attendre. Parce qu'il ne pouvait en être autrement, il ne pouvait pas être définitivement seul. Il n'en avait pas le droit. Incompréhension. Comme s'il avait fait quelque chose de mal, comme s'il était responsable de ce qui lui arrivait maintenant, du rejet dont il était la victime. La surprise. Quand Neil lui fonça dessus, ses cheveux volants derrière elle la faisant ressembler à une furie. Il se laissa faire, du moins au début, non pas à cause de la force qui l'assayait, mais plutôt car il ne s'y attendait pas. La colère. Quand il comprit pourquoi elle était elle-même furibonde, prête à lui trancher la gorge. Quand il sentit le couteau sur sa gorge. Il s'en moquait. Elle pouvait bien la lui trancher si ça l'amusait, il n'avait pas réellement à craindre d'un couteau. Surtout pas celui-là. Un culot incroyable et une réaction inattendue, il n'avait pas rêvé mieux ...

Le nom de Cléo tiqua à son oreille. N'était-elle pas partie depuis le temps? Lui en dehors de la ville, cela aurait du l'inciter à la quitter ... Tel était un des buts de la manoeuvre pourtant. Raté. Mais de quoi la blonde l'accusait-elle? Qu'avait-il bien pu faire? Qu'est-ce que Cléo avait bien pu dire? Mais il ne se laissa pas le temps de réfléchir. Après tout, il fallait qu'il réagisse, et avec un grognement, essaya de pousser Neil qui, pas forcément de son fait, laissa tomber le couteau. Les yeux noirs, il la dévisagea. Elle semblait sortie de ses gonds, bien trop sur les nerfs ... Il aurait peut-être dû prévenir qu'il s'en allait. Il ne prévenait jamais personne. Elle aurait peut-être dû s'y attendre. Quelque peu énervé, il se décida à prendre la parole.

" Je sais pas de quoi tu parles, je l'ai pas vue depuis le bal, Cléo. Quoiqu'elle ait dit tu pourrais au moins me le demander au lieu de m'agresser ! T'es la première personne que je vois depuis que je suis rentré. Tu crois pas que c'est toi qui est en train de tout faire foirer là? !"

Le coup de trop, sans doute. Elle lui fit mal, comme lorsque son frère et lui se battaient. Mais il ne dit rien, se contentant de grogner, et de se jeter sur elle, lui attrapant les deux poignets, se moquant complètement de savoir s'il lui faisait mal ou pas, la collant contre le mur où, deux secondes plus tôt, il était, un couteau sous la gorge. La regardant dans les yeux, il essaya de se calmer le plus possible. Il n'avait pas besoin de ça, loin s'en fallait.

" Maintenant tu vas te calmer parce que j'ai clairement autre chose à foutre que subir tes sautes d'humeur. Je sais pas ce qu'elle t'a dit Cléo mais soit j'ai un double maléfique qui se balade, ce qui m'étonnerait, soit elle s'est foutu de ta gueule, parce que la dernière fois que l'on s'est réellement parlés, hormis le bal, je lui ai dit qu'elle pourrait crever que ça m'empêcherait pas de dormir. "

La lâchant, il se retourna, le temps de sortir une cigarette et de l'allumer. Foutue habitude.

" Par contre pourquoi je ne lui dis pas qui je suis, ça, ça me regarde."   

Le loup était perdu. Il ne voulait pas croire que la scène se déroulant devant ses yeux se produisait réellement. Pas Neil. Tous, la ville entière, le monde entier même, mais pas Neil. Pas celle sur qui il pariait tout ce qu'il avait, pas grand chose, certes, mais mieux que rien. Elle était à l'heure actuelle la seule personne présente à Mystic Falls qu'il avait envie de voir, et la seule chose qui en ressortait, c'était une pression inutile sur son coeur. Inutile et imprévue. Il ne ressentait rien, c'était le propre du loup, faire comme si tout sentiment avait disparu, faire comme si rien n'importait. Mais il n'avait jamais été faux avec Neil, jamais. Il avait toujours fait en sorte d'être lui-même, et cela n'avait jamais paru compliqué car quoi qu'il fasse, dans toute son étrangeté, elle le comprenait. Et aujourd'hui, il devait se résigner à un des choix les plus difficiles de son existence. Rester tel qu'il avait l'habitude de l'être avec elle, essayer de la raisonner, se montrer aussi peu brusque qu'il pouvait l'être, car tout ce qu'il voulait c'était qu'elle soit là, et non pas à se désemparer comme elle le faisait ... La voir dans cet était était une épreuve, autant pour sa raison que pour ses nerfs. La deuxième solution ... Celle employée avec Cléo. Le renfermement. Le déni. Les répliques acerbes sans aucun fond. Une attitude qu'il arrivait à manier à la perfection, mais qu'il n'avait aucune envie d'arborer maintenant. Pas de sourire faux et de nonchalance, pas d'insolence. Une angoisse sourde de perdre la seule raison qu'il avait de rester à Mystic Falls. L'angoisse de perdre la seule personne qui lui restait. Il était orphelin, mais avec elle il avait eu l'impression de retrouver la présence dont il avait besoin. Un loup solitaire, voilà ce qu'il était. Qui aurait été assez stupide pour croire qu'il aurait pu prétendre à autre chose?

" Et tu l'as crue ?! Elle veut me briser autant que je l'ai brisée, c'est son seul but de gosse en manque de reconnaissance, t'es meilleure que ça bordel !"   

Il n'était pas réellement énervé contre Neil. Contre Cléo, énormément. Il n'arrivait pas à lui répondre, pas à trouver les mots juste. Pourquoi était-il parti? Pourquoi l'avait-il laissée, seule? Elle avait raison il n'aurait pas dû partir, mais après le bal, ils avaient eu envie de recommencer leurs petites magouilles, comme avant, entre frères ... Mais il n'aurait pas dû. Et cette fois, c'était de sa faute. Parce que cette fois, il avait vu plus loin que le bout de son nez, il avait pris conscience des envies d'Adriyel.

" J'étais pas sensé partir un mois, j'ai pas pu te prévenir mais Adri..."

Puis il réalisa. A trop se préoccuper des accusations même plus voilées de la blonde, il avait oublié la fin de sa phrase. Avant qu'elle ne lui saute au visage. La Russie. " Ils étaient là, en train de pleurer parce qu'ils avaient tout perdu. Un génie, ce bonhomme de leur avoir demandé leur hospitalité pour les dépouiller." C'était elle. C'était lui. C'était eux. Ses parents. Il avait involontairement activé son gêne. C'était de sa faute, pour elle aussi. Sa faute si Cléo était devenue comme ça, au lieu de faire sa vie comme une gentille petite fille de riche, sa faute si Neil n'avait pu vivre sa vie loin de cette malédiction. Pourquoi tout revenait toujours à lui, qu'est ce qu'il avait bien pu faire à l'enfoiré qui jouait toutes les cartes pour qu'il s'acharne à lui faire ressentir une telle culpabilité. Fermant les yeux, il s'appuya contre le mur, se tapant légèrement la tête. L'inconscience, il rêvait d'envie d'inconscience.

" Merde !"   

Il n'en pouvait plus, devoir assumer ses actes, ce n'était pas pour lui, voir les conséquences, il ne connaissait pas. Il commettait des vols ? Ezeckiel s'enfuyait, ne regardait jamais vers les familles éplorées. Et on lui demandait de regarder Neil dans les yeux pour lui dire que c'était lui qui l'avait rendue ainsi? Peut-être qu'elle en était heureuse ... Pas lui. Elle n'aurait pas dû être ainsi. Jamais. Trouver son indépendance, elle aurait pu le faire dans tellement d'autres occasions ... Elle avait commencé à tuer. Il l'avait fait commencer à tuer. Il avait la gorge nouée. Pouvait-il seulement parler? Avouer? Il ne savait pas faire.

" C'est toi que j'ai croisée. Ce jour là en Russie. C'était toi. Et j'm'en suis jamais rendu compte. Jamais. Tu m'expliques comment ça se fait? J'aurais dû le voir c'est juste évident. Mais Cléo ne mérite pas de mourir comme ça. Si je ne l'ai pas tuée le jour de ma première lune, ce n'est pas toi qui tentera quoique ce soit. Elle a beau être ce qu'elle est, j'en suis responsable, c'est à moi de me charger de son cas. "  

S'il se parlait plus à lui même durant la première partie de sa phrase, la seconde était clairement autoritaire. Froide. Il avait rouvert les yeux, et ce n'était pas réellement quelque chose qu'il souhaitait voir négocier, c'était clair et net. Il avait rendue Cléo détestable, il l'avait rendue telle qu'elle était. Il ne s'en réjouissait pas. Le loup aurait préféré qu'elle ne le retrouve jamais, mais la vérité était là. Il était responsable d'elle, il devait s'en occuper, alors même que ses parents étaient morts.